Consentement
-Je n’irai pas à l’hôpital, je refuse.
Je suis démuni, face à sa détermination.
La vieille dame, endormie, qui semblait répondre du bout des lèvres avec un effort insupportable à mes questions médicales vient de se réveiller d’un seul coup.
Je ne la croyais pas si vigile.
-Je veux mourir chez moi
Tout est dit dans une clarté absolue.
Elle a raison, me dis je intérieurement.
Je désirerai sans doute la même chose.
Je ne suis pourtant pas si sûr que cela que le moment est venu. Le malaise qu’elle a fait tout à l’heure devant son auxiliaire de santé, n’est pas forcément les prémices d’un passage de vie
à trépas.
Elle ingurgite chaque une liste de médicaments qui rendraient malade n’importe quelle personne et elle a plus de 85 ans.
Un lui ralenti le cœur, l’autre baisse la tension artérielle, le troisième est un somnifère, et ainsi de suite, le quatrième est censé lui oxygéner le cerveau, le suivant est un laxatif voilà
pour les principaux et la liste n’est pas close. Connaître le résultat clinique de toutes ces drogues mélangées, est bien incertain. On se moque des médecins du malade imaginaire, mais que penser
de ceux qui sont capables de tels remèdes de nos jours ?
Sa fille m’avait prévenu qu’elle n’aimait pas l’hôpital, mais je ne pensais pas que la réponse serait si franche .
Que faire ?
Accéder à son désir légitime ou faire preuve d’autorité, l’emmener malgré elle à l’hôpital.
J’essaye de lui expliquer, de la convaincre en lui caressant doucement le bras en même temps que je parle proche de son oreille pour qu’elle m’entende malgrès son ouïe défisciente.
-Ce n’est pas encore le moment de mourir. Votre malaise n’est peut-être pas si grave. En venant à l’hôpital nous vous surveillerons et demain matin si tout va bien vous serez de retour. Les
places sont chères en ce moment vous savez .
- Je n’irai pas à l’hôpital.
La réponse est toujours donnée avec la même fermeté.
Je me tourne démuni vers sa fille. Elle seule peut faire pencher la balance, décider entre moi et sa mère. C'est lâche mais je ne peux rien faire d'autre.
J’ai essayé de la convaincre aussi. Si sa mère reste, qui veillera toute la nuit à son chevet ?
Elle doit travailler demain et la perspective d’une nuit blanche semble m’avoir donné raison.
Nous avons maintenant moi et les pompiers une certaine légitimité pour emmener la patiente malgré elle.
La pauvre ne peut pas lutter. Les pompiers glissent son corps léger sur le matelas « coquille« de transport.
Elle paraît toute menue, seule sa petite tête émerge sous le masque à oxygène.
Je passe dans le salon pour voir son dossier médical. Sa fille m’a indiqué qu’il était sur la commode.
Le soleil couchant entre par la baie vitrée. Il éclaire l’univers quotidien de la patiente que je suis en train de kidnapper. Sur le fauteuil rembourré, un petit coussin brodé rehausse
l’assise. Tout est organisé autour de ce poste de commandement. A droite la télécommande, avec le programme télé, sur un tabouret en bois. A gauche accroché à l’accoudoir, une poche de tissus
avec des mouchoirs. Une bouteille d’eau minérale est à portée de main. Sur le tapis du salon, on devine par l'usure, les chemins qu’elle emprunte: Un pour aller à la cuisine un pour aller
vers sa chambre. Sur la commode, est regroupé tout ce qui sert à sa santé. C’est l’espace de son auxiliaire de santé. Un paquet de compresse, un sac avec les médicaments, à coté de pilulier bien
rempli. Un cahier de classe est ouvert à la date d’aujourd’hui tout ce qui s’est passé y est Noté. L’appel au samu et la description du malaise y figure. Je feuillette les pages et je découvre
que cela fait plusieurs jours que la patiente est fatiguée. Finalement elle est peut-être vraiment malade, et son retour dés demain sera délicat.
Plus loin dans un porte document en plastique vert, sont classés les ordonnances, et les derniers examens de façon bien ordonnée. Je récupère çà et là les informations qui m’intéressent. Le
traitement en cours, le dernier résultat de la prise de sang me seront utile pour la suite des soins et pour compléter mon dossier médical.
Je comprends mieux qu’il lui soit difficile de quitter sa maison cette pièce où tout a été minutieusement organisé à sa mesure. Y reviendra-t-elle ?
Mon bilan passé au SAMU, je reviens le camion de pompier où elle est installée. Elle ne dit plus rien, elle s’est résignée, de toutes façons elle ne peut rien faire d’autre.
Moi et l’infirmière de SMUR nous nous sentons coupable de l’avoir enlevé de son univers. Nous essayons de nous faire pardonner en redoublant de façon exagéré de bonnes attention à son égard. Je
n’ai pas tenu compte de son refus de consentement, et j’essaye de renouer le contact, la persuader à postériori.
N’a-t-elle pas trop chaud, trop froid ? Ne veut-elle pas qu’on la redresse un peu ? Comment se sent-elle.
Elle nous répond à chaque fois qu’elle n’a besoin de rien.
Ses pommettes sont restée un peu violacée. Sa fille avant de l’embrasser dans l’ambulance, nous a dit que c’était son aspect habituel. Je pense tout de même, que l’oxygène qu’on lui administre
par le masque en plastique n'est pas superflu.
Le trajet jusqu’à l’hôpital se déroule sans problème. Seulement sa tension qui reste un peu basse pour son grand âge.
Arrivés dans le service sa fille qui nous a suivi est très vite à son chevet. Je suis également très prévenant avec elle. Elle semble particulièrement proche de sa mère. Je lui explique les
différentes étapes du bilan et ce que je prévois pour sa maman. Il y a eu pas mal de monde arrivé aux urgences pendant mon absence et je ne vais plus pouvoir rester aussi exclusif avec
eux.
Le bilan initial n’est pas trop mauvais. Je n’ai pas d’explication évidente à ce malaise. Sa fille l’accompagne et reste encore un peu avec elle, jusqu’à sa chambre d’hospitalisation. Je la
croise au moment où elle part enfin vers 23h30. Sa mère s’est endormie, elles semblent toutes les deux finalement rassurées d’être à l’hôpital. J’espère pouvoir tenir demain ma promesse et les
rendre à leur univers quotidien.
Vers une heure du matin alors que je suis au téléphone pour organiser le transfert d’un autre patient L’aide soignante vient me chercher. Je comprends vite qu’il faut que je raccroche. La
patiente ne va pas bien. Au cours d’un change en la mettant sur le coté elle a fait un malaise. Je me précipite vers la chambre. La patiente "gaspe". Son visage est mauve, elle fait de
temps en temps une grande aspiration grimaçante. Sur le scope son cœur bat très lentement, comme s’il allait s’arrêter d’une minute à l’autre.
Je la réanime ou non ?
Je me décide très vite. Je lui avais promis qu’elle retournerai chez elle. L’infirmière prépare sous ma directive l’atropine. L’aide soignante colle les patchs pour les chocs électriques au
cas ou. L’injection n’a rien fait. L’adrénaline est plus efficace. Le rythme sur le scope s’accélère, le tracé ondule un moment en désordre puis se stabilise. La respiration redevient normale. La
patiente qui était absente, râle un peu. Je lui parle. Va-t-elle bien ?
Elle me répond, d’une voix faible. Oui elle va bien….
Une odeur pestilentielle a remplie la chambre. Le malaise a été accompagné d’une grande débâcle diarrhéique.
La voilà de retour parmi nous.
Elle ne pourra pas retourner chez elle j'en suis maintenant certain. L’aide soignante m’explique que tout allait bien, qu’elle avait discuté avec elle. Elle lui avait néanmoins dit dans ce
bien-être apparent qu’elle allait mourir. Cette présomption est en général suivie de réalité implacable.
La tension n’est pas fameuse, la température aussi a pas mal chuté. Maintenant que tout est reparti je poursuis jusqu’au bout. Si au moins elle pouvait revoir ses filles.
Les antibiotiques, les drogues pour la tension et le cœur la feront tenir jusque là.
Il est tard mais je décide d’appeler sa fille. Elle est partie il y a juste une heure. C’est une voix endormie qui me répond au téléphone. Je lui explique comme je peux, que je me suis trompé. Le
simple malaise dû aux médicaments que j’avais suspecté à la maison se transforme petit à petit en quelque chose de beaucoup plus compliqué. Sa mère peut mourir dans la nuit. Elle ne retournera
pas dans sa maison. Je suis surpris et déconcerté. Me suis je mal exprimé ? Sa fille m’explique qu’elle est fatiguée. Elle ne viendra que demain.
Tout cela pour ça. Après avoir volé son désir de mourir à la maison je viens de voler sa mort à cette patiente, en imaginant que sa fille viendrait la voir.
Le reste de la garde, elle reste stable. J’ai pu allé me coucher un peu. Le lendemain je la découvre le visage plus rose. Elle parle, et râle un peu. Elle voudrait un café. J’explique au
médecin de relève, la problématique.
Elle mourra à l’hôpital 24 heures plus tard après avoir vu ses deux filles. En accord avec elles, la drogue à visée cardiaque sera arrêtée. Son cœur s’arrêtera peu de temps après.
Difficile et amère sensation que cette mort volée. Le consentement aux soins faut-il le suivre ou non quand tout n’est pas explicable ?
J’espérai sincèrement pouvoir lui redonner plus que ces quelques heures de vie, en l’emmenant aux urgences. Cette volonté de prolonger sans cesse la vie m’a trompé.
Pour d’autre patient ne pas le faire nous est pourtant reproché. Le juste milieu dans tout cela est difficile à trouver. L’éthique ne résout pas tout. Dans l’urgence les sentiments parlent aussi.
Les doutes ne peuvent pas durer et les décisions sont rapides souvent suivis de conséquences irréparables. Faut-il toujours écouter les désirs de malades ? Sans doute car seule leur vie comme il
l’a désire compte. Les choix aussi terribles soient-ils méritent d’être réfléchis et acceptés par tous sans rancune. Cela est difficile dans une société ou parler de sa mort est tabou, et évité
avec lâcheté. C’est ainsi que le médecin seul doit faire face, à des interrogations qui dépassent largement son domaine de compétence.
Voler la mort, la laisser venir, ou bien l’ignorer y a t-il une réponse à l’aube d’une existence ?