Dépendance
Madame B est venue adressée par son médecin que l’on dit « traitant » ou « référent », car s’est lui qui s’occupe de sa santé des ses petits tracas médicaux durant son existence. Ce vendredi à 23h30
il l’envoie à l’hôpital et donc aux urgences pour une diarrhée profuse. Cela fait 3 jours que cela dure. Sa fille est passée plusieurs fois la voir, la changer régulièrement. La situation est devenue
critique, elle continue à se vider. Elle s’est levée la nuit dernière pour aller une fois de plus à la selle. La grande faiblesse qui s’amplifie depuis le début, ne lui a pas permis de tenir
jusqu’aux WC, elle s’est laissé tomber dans le couloir. Elle a tout juste eu suffisamment d’énergie pour ramper jusqu’au tapis du salon. Elle a fini par s’endormir. Après s’être abandonnée sous
elle. Sa fille qui à l’habitude de passer le matin, avant d’aller travailler l’a découverte là parterre dans ces excréments. Elle a appelé les pompiers. Auparavant avec l’abnégation habituelle,
elle a tout nettoyé, remis une chemise de nuit propre à sa mère, en l’aspergeant d’un peu d’eau de lavande.
Malgré cette matinée chamboulée, Madame B me sourit a son arrivée aux urgences. La déshydratation importante a asséché sa langue. La parole en est devenue difficile un peu pâteuse. Sa fille a tout de
même eu le temps de l’aider à se maquiller un peu. Elle ne voulait pas venir comme çà sans se préparer aux urgences. Le rouge à lèvre a été déposé avec soin sur le pourtour de ces lèvres fines. Deux
traits de mascara soulignent également ces sourcils qui se dégarnissent.
Elle a retardé au maximum sa venue à l’hôpital. La leucémie chronique dont elle est atteinte lui a fait passer tellement de temps dans les hôpitaux qu’elle ne veut plus y aller. Son médecin traitant
l’appelle « Dracula » me dit-elle avec humour. Elle a tellement eu de transfusions sanguines qu’il n’en reste plus pour les autres…
Je l’examine. Sa fille lui a mis une couche… Celle-ci est pleine et exhale les odeurs de son dérangement intestinal. Elle en est confuse. Elle s’est efforcée m’explique-t-elle de nettoyer tout ce
qu’elle a pu à domicile. La maladie et sa faiblesse ne lui permettant plus de faire face.
Il est plus que temps de la mettre sous perfusion.
Je poursuis mon examen. Lorsque je soulève sous tricot pour ausculter son cœur, elle détourne son regard et me dit embarrassée « Moi qui n’aime pas me montrer ». Je rabats celui ci sur mon
stéthoscope qui seul poursuit son incursion intime. Je lui souris sans un mot, concentré sur ce que j’entends par les oreillettes. Ma main guide le stéto entre le chandail et la peau fine de
son thorax chauffée par la fièvre. J’ausculte les différents foyers cardiaques.
« Comme cela on ne voit plus rien, on ne fait qu’entendre » lui dis-je, pour l’assurer que je tiens compte de sa pudeur.
Sa fille est dans la salle d’attente. Une femme brune, de bonne prestance, habillée élégamment. Elle porte un maquillage un peu trop élaboré. Ce doit être de famille me dis je. Le contour des lèvres
dessiné au rouge à lèvre et celui des sourcils me rappelle celui de sa mère.
Elle est fatiguée. Depuis 3 jours c’est elle qui s’occupe en alternance avec la femme de ménage de changer sa mère régulièrement et de nettoyer les dégâts qu’occasionne sa diarrhée à la maison.
L’hydrater à la petite cuillère devenait impossible. Aujourd’hui, elle a tout même réussi a lui faire ingurgiter un petit pot de Blédina. C’est l’aliment des âges extrêmes. Elle est inquiète
pour sa mère. On discute à l’entrée de la salle d’attente. Petit à petit elle se confie et se livre un peu, elle a besoin que l’on s’occupe d’elle aussi. Elle a ses propres ennuis de santé; des
infections pulmonaires a répétition. Lorsque j’ai essayé de lui expliquer la diarrhée infectieuse de sa mère m’évoquait une salmonellose, elle a compris légionellose. Elle a fait un
l’amalgame ave cette affection pulmonaire dont on a tant parler dans les médias. Elle craint d’être contaminée au niveau pulmonaire par sa mère ! Je l’a rassure tant que je peux.
Elle prend le sac d’effets qu’elle lui avait prévu et me suit jusqu’à chevet de sa mère, juste avant qu’elle ne rejoigne son lit d’hospitalisation.
Je poursuis mon travail et je retourne terminer la rédaction du dossier dans la salle des médecins.
Lorsqu’elle quitte le service elle fait un large sourire en passant devant la porte du bureau ouverte. Son visage est détendu, elle est sans doute rassurée de savoir sa mère enfin hospitalisée.
Elle va pouvoir s’occuper d’elle, mais se sentira aussi sans doute dépourvue, sans la visite quotidienne, et les petites attentions qu’elle lui témoignait.
Les urgences ont su trouver une solution à cette première crise. Mais se n’est qu’un emplâtre provisoire.
L’âge aidant, la dépendance s’aggravant, il va falloir prévoir une organisation plus solide. Les allers retours urgences, ne s’y substitueront pas. Mais le pas est dur à franchir pour tout le monde.
Des parents dépendants qui ne veulent pas quitter leur univers quotidien, aux enfants attentionnés, qui savent que qu’après cette étape, ils seront les prochains sur la liste. Il est des fois plus
commande de faire comme si de rien n’était, en attendant le problème aigu pour agir.
Madame B n’en est pas là. Elle pourra revenir chez elle, je l’espère, mais il faudra que l’assistante sociale, prévoit le futur. Elle préparera la fille et la mère, à cette échéance, pour le rendre
raisonnable et non plus vécue comme une seule fatalité résignée.