Résurrection

C’est au bout du chemin, en haut de la cote juste avant la forêt.
On s’est tout de même un peu perdu.
Nelly a demandé notre route a une grand-mère courbée, qui remontait la rue.
« Vous verrez la maison on ne peut pas louper elle a des volets roses, et une barrière verte ».
Les indications étaient bonnes. On a trouvé plus facilement qu’avec le GPS.
La technique ne permet pas de trouver encore les petits coins perdus.
Le grand père est là haut.
Son épouse est toute affolée : Il ne répond plus, ne bouge plus .
«  Je crois qu’il est mort ». nous dit-elle.
On ne s’éternise pas en discours, et l’on monte à l’étage deux marches par deux marches sans s’arrêter.
C’est un tout petit escalier en bois bien ciré qui après un virage longe le rampant du toit.. Cela ne va pas être facile à la descente.
Dans la petite chambre sous comble, les pompiers nous attendent.
Ils ne sont pas trop affolés. C’est bon signe en général.
J’essaye d’en savoir plus.
Le chef d’agrée, me dresse le bilan.
Monsieur M est monté faire sa sieste et depuis il n’est pas redescendu. Il n’ouvre plus les yeux et ne répondt  pas aux questions.
Il ne s’est plaint de rien avant, il n’a pas de problème de santé, seulement sa prostate qui le gêne un peu. Pas de médicaments en cours sauf des gouttes que lui prescrit le médecin pour faire croire qu’il améliore sa circulation cérébrale vieillissante.
 Je n’ai vraiment pas grand-chose à me mettre sous la dent.
Je pince le bout de son doigt entre le mien et  mon stylo, rien. Pas un mouvement.
Je prends sa main, et la laisse retomber sur sa tête, rien. Elle reste flasque tombant sans retenue.
Je recommence. Et là j’entrevois enfin une solution. Les  paupières se sont un peu plissés.
Je lui parle à haute voix :
« Monsieur ouvrez les yeux c’est le médecin » rien toujours aucune réaction.
« Bon on va le descendre, on refera le point dans l’ambulance ».
Dis je.
Je donne l’ordre attendu par tous pour lever le camp.
Les pompiers sont rassurés car je les ai autorisé à utiliser la chaise porteuse pour descendre notre patient. Se sera plus facile qu’avec le matelas coquille, mais cela va être quand même du sport.
Son épouse nous attend dans le hall. Sa fille va arriver. Je la rassure.
« Votre mari ne va pas trop mal, son cœur marche bien, il a une bonne tension, nous allons l’emmener quand même à l’hôpital pour faire un petit bilan ».
On l’installe dans l’ambulance des pompiers. Nelly me demande s’il faut faire un bilan. Je parle tout fort.
« Tu n’as qu’à lui demander ce qu’il en pense ».
Elle me regarde un peu surpris. Je lui fais un clin d’œil et elle comprend.
Mieux que cela il renchérit.
-    « puisqu’il est dans le coma, je pense qu’il faut lui mettre une sonde urinaire, qu’en penses tu ? ».
 Monsieur M ouvre les yeux, il ne parle toujours pas mais nous regarde inquiet.
Je tente alors le tout pour le tout.
« Bonjour Monsieur M
 Qu’est-ce qui se passe  ?, vous pouvez nous parler maintenant, nous sommes seuls »
Monsieur M hésite puis retrouve la parole.
Il a décidé cet après midi qu’il était temps de  mourir.
Il sentait que son moment était venu, ou en tout cas il le souhaitait. Son ami Raymond est décédé d’un cancer la semaine dernière, alors maintenant ça devait être son tour.
« Vous comprenez docteur, je ne sers plus à rien, je suis vieux et je ne veux pas attendre d’être malade ».
Il est monté sans un mot, s’est allongé et a attendu la venue de la mort et de sa grande faux.
Je lui explique que l’on ne meurt pas comme ça sur commande.
«  C’est pas votre heure vous êtes bien pour votre âge, et vous avez la chance de ne pas être malade » lui dis-je
«  Vous croyez, vous ne me trouvez pas si vieux  ? » l’interrogation est sincère et demande une réponse identique.
Il se porte encore bien le grand père, à part la prostate qui l’oblige à se lever trois fois la nuit.
Nelly en rajoute.
« vous pouvez allez encore au bal, je vous demanderai bien de m’inviter à danser »…
Et voilà d’un seul coup, notre petit grand père, qui sourit, s’agite, et drague même ma jolie infirmière avec des clins d’œil.
C’est une résurrection érotogène.
Il est passé d’un trépas imaginaire à une renaissance, un brin orientée.
Il échafaude même devant nous maintenant des projets.
« Puisque vous me trouvez encore séduisant mademoiselle, et bien vous devez avoir raison, je vais raccrocher pour une dizaine d’années ».
« Docteur, est-ce que vous pensez que je pourrai tenir 10 ans ? »
Me demande-t-il
« Je l’espère bien, et pour quoi pas le double, si la santé est là. »
Le discours devient irréel.
Un coup de cafard. Ne plus avoir la perspective du petit coup de blanc le midi avec Raymond, et sa vie n’existait plus. Sa pauvre femme n’y pouvait rien, elle était devenue trop transparente dans son quotidien pour l’y rattacher.
Pas d’enfant, une petite maison bien entretenue, rien à faire de particulier alors pourquoi rester ici.
Une jolie infirmière, une visite bruyante des pompiers, et deux mots sur sa bonne santé, et voilà, il se voyait maintenant repartir pour une nouvelle vie.
Ce sont les mystères de l’humeur, mêlé à ceux de l’usure de la vie.
Si la fatalité de la vieillesse peut faire baisser les bras, il ne faut pas conclure trop vite sur les capacités que nous avons à rebondir.
Monsieur M ira toutefois voir l’équipe de psy, à son arrivée.
Il va falloir l’aider et le guider dans cette renaissance si l’on veut qu’elle dure.

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